Lors de mes études à l’Agro, nous avons fait un voyage d’études en Bretagne. Nous avions le privilège absolu de faire ce voyage avec René Dumont en personne ! René Dumont soi-même, l’ancien candidat à l’élection présidentielle de 1974, le père de l’Ecologie politique française ! Nous étions 15 étudiants ET René Dumont ! Le programme nous a amenés ce jour-là à visiter une ferme modèle, très connue à l’époque pour ses solutions innovantes et sa complexité – un vrai « cas d’école », à ne manquer sous aucun prétexte. Et nous allions passer la journée entière dans ce fleuron de l’économie agricole bretonne. Quelle aubaine !
Eh bien non, nous ne l’avons jamais visitée, cette ferme, car l’éthique fait aussi partie de la pédagogie !
Suite de l’histoire :
Nous sommes dans la cour de ferme, le car est stationné à l’extérieur et le chef d’exploitation nous reçoit, très honoré de voir René Dumont en personne ! Les étudiants rassemblés autour de lui, l’agriculteur commence doctement sa présentation. Les étudiants ont leur carnet de notes et préparent leurs questions. Moment studieux !
Et voilà que, sans que nous l’ayons vu, un petit homme se rapproche pas à pas du groupe. Il semble curieux de cet attroupement et sourit gentiment. Il s’est si lentement inséré dans le groupe qu’il est passé inaperçu. Il écoute.
René Dumont interrompt alors le conférencier et lui dit :
- Avant de continuer, pouvez-vous nous présenter cette personne qui vient de se joindre à nous ?
- Oh, non, ça c’est rien, c’est mon métayer !, répond notre hôte
Silence, dont je me souviendrai toute ma vie. René Dumont est immobile et regarde fixement l’homme. Lui laisse-t-il le temps de se rattraper ? Je ne sais pas. Au bout d’un long moment, il lui dit :
- Ah ? « ce n’est rien, juste votre métayer » ? Eh bien, puisque c’est ainsi, nous n’avons plus rien à faire ici. Adieu, Monsieur !
René Dumont fait alors demi-tour et sans un regard pour personne, quitte à grands pas la cour de ferme et retourne au bus. Nous, hésitants et étonnés, le suivons progressivement en marmonnant un « au revoir » un peu gêné.
Je me souviendrai toute ma vie de l’image de cet homme, planté là, au milieu de sa cour de ferme (avec son métayer qui n’avait pipé mot) ahuri, bouche bée… Cette image est une leçon qui jamais ne m’a quitté.
Il y a des cas où l’éthique fait aussi partie de la pédagogie !
On a herborisé toute la journée ! René Dumont était aussi un excellent botaniste.
Pour revoir René Dumont boire son verre d’eau, lors des élections présidentielles de 1974 :
@Claude : « Le grand problème d’aujourd’hui et d’hier c’est que chacun reste campé sur sa vérité en rejetant celle de l’autre» !
Épiloguer sur le sens de cette phrase sur papier est-il approprié ? Si R. Dumont a réagi ainsi, c’est très probablement que les éléments non verbaux accompagnant les mots lui ont permis de sentir le mépris, la non considération que le patron avait pour SON métayer ! Alors quoi ? S’engager dans un échange « non violent » à n’en plus finir…? Un bon retour à l’envoyeur (je vous traite comme vous avez traité l’autre, avec un effet miroir) est, selon moi, la réponse la plus appropriée et la plus efficace !
« La non violence a échoué car elle n’a rien fait pour endiguer la violence de l’état ou pour changer le cœur de nos oppresseurs »!!
Nelson Mandela
Mon article sur René Dumont suscite de nombreux commentaires diversifiés – et même parfois opposés – quant à sa réaction ! C’est bien dans l’esprit de ce site et j’en suis heureux. J’en ferai une synthèse un peu plus tard …
Hello !
Ce qui me vient en lisant ce témoignage mémorable, c’est que le métayer … le pauvre, a du se faire virer une fois le bus reparti… Double peine ! Flute, zut ! Mais cela est sûrement mieux pour lui de changer de crèmerie que de rester bosser pour un patron méprisant ! Donc merci René ! (le boulot : » il suffit de traverser la rue pour en avoir un » comme dit l’Macron! Sauf que ça, c’était « valab » en 70 ! et oui pépé !
Bonjour Bertil,
Je te remercie de cet anecdote, d’abord pour le rappel de ce moment, non pas de téléréalite mais de téléverité prémonitoire, ensuite pour s’inspirer d’une éthique en action. J’ai eu malheureusement l’occasion de voir une conférence « Laurent Alexandre, les inutiles » que l’on peut trouver sur « you tube », qui, au delà de propos ignobles s’appuyant sur le transhumanisme, m’a sidéré par le côté moutonnier de l’auditoire composé d’élèves de « grandes écoles »… De quoi faire se retourner René Dumont dans sa tombe !
J’espère que les mentalités ont évolué ; on se croirait au Moyen-Age. Les Gilets Jaunes ont encore du grain à moudre…
Merci Christophe ! J’ai oublié de mentionner que la scène se passe en Juin 1969 !
Un peu violent quand même. Une conversation avec le fermier aurait surement donné autant de résultats et ouvert tous les présents à la discussion.
Chère Agnès,
La scène se passe en Juin 1969, un an après mai 1968, où nous étions en pleine lutte des classes. Contester ainsi le pouvoir divin du « patron » était chose nouvelle et avait un parfum de « radicalité ». Aujourd’hui, c’est vrai, on gagnerait à ne pas attiser l’antagonisme et à engager le dialogue, surtout dans la période actuelle où la haine monte de partout. En résumé, je dirais qu’il faut « juger alors avec les yeux d’alors », comme disait Aragon ! Bises, Bertil
Je ne vois pas la différence entre 1969 et aujourd’hui sur ce plan. René Dumont semblait être homme expéditif. Comme le sont nombre de personnes de tous bords aujourd’hui. Le grand problème d’aujourd’hui et d’hier c’est que chacun reste campé sur sa vérité en rejetant celle de l’autre. « Ce n’est rien juste mon métayer » qu’est ce que ça veut dire ? que le bonhomme était raciste, méprisant , insultant ? ou peut être juste maladroit dans une pensée aux antipodes du sens que lui a prêté René Dumont. Et le comble, c’est que votre hôte était peut être un agriculteur bio, et à cette époque c’était révolutionnaire.
Cher Claude
Merci de ta contribution qui est bien dans l’esprit du site « Salon ardent » : promouvoir l’échange respectueux et non complaisant.
Sur René Dumont d’abord, l’ayant connu, ayant lu ses livres et assisté à son enseignement, je peux attester que ce n’était pas une « homme expéditif » comme le sont nombre de personnes de tous bords aujourd’hui. C’était un homme généreux, très concerné par la pauvreté, engagé dans des combats difficiles pour apporter sa contribution au changement social.
Sur le fond, cela pose la question éternelle de savoir comment réagir dans ce type de cas. Privilégier le dialogue et tenter de comprendre l’autre, c’est le mieux, bien sûr. Mais il me semble qu’il y a des cas où il faut mettre les limites. J’ai souvent tenté, parfois de manière désespérée, de parler par exemple avec des gens ouvertement racistes. ça peut effectivement semer le doute et on peut aussi apprendre des choses (si la personne est d’accord avec ce débat). Mais « mettre les limites » est aussi une manière de faire avancer les choses. Par exemple, dans mon histoire, tous les gens concernés ont eu de quoi réfléchir et même l’agriculteur doit s’en souvenir et retiendra la leçon.
Car, je demande au lecteur de me faire confiance, tout simplement parce que j’ai vécu cette histoire qui m’a marqué ; Non, l’agriculteur en question n’était pas bio ! et Oui, il était méprisant et insultant !
Et finalement Oui, il y a une grande différence entre 1969 et 2019. Entre temps, il y a eu une radicalisation de la société, l’effondrement de la conscience et de l’engagement politiques, le recul de l’autorité légitime (http://bertilsylvander.com/?p=2217), la montée des polémiques, la montée du front national, la déculpabilisation du racisme, phénomènes très bien analysés dans le bouquin que je commente dans :
http://bertilsylvander.com/les-conspirateurs-du-silence-de-marylin-maeso/
http://bertilsylvander.com/les-conspirateurs-du-silence-de-marylin-maeso-bonnes-feuilles/
En tous cas, merci de nouveau de me permettre de préciser ma pensée ! et à la revoyure !
Je suis très touché par les solutions innovantes, humoristiques et décalées (bref « Clown ») de résoudre les conflits ! Si tu as des exemples, raconte les !!
Voici un exemple :
http://bertilsylvander.com/enfermons-les-fauteurs-de-guerre-dans-une-cuve-a-vin/
Une belle leçon de considération des personnes et non des fonctions qu’elles occupent !