En présence d’Eliane Garreau, on imagine mal qui se cache derrière cette dame cultivée, discrète, effacée, cette mamy aimante dont la joie de vivre est sa famille. Eliane entre en résistance en 1942, par foi dans la patrie, par refus de l’humiliation. Non initiée à la clandestinité, elle s’y lancera à fond : fabrication de faux papiers, hébergement de prisonniers évadés, de jeunes réfractaires au STO, de résistants, de pilotes, réseaux « Navarre » et « Centurie » des Forces Françaises Libres (FFL). Arrêtée en 1943, déportée à Ravensbrück et Holleischen, son calvaire prendra fin seulement le 15 mai 1945 la laissant meurtrie à vie.
Et pourtant …
Et bientôt, nous voilà en tenue de bagnardes. A chacune son trousseau : une robe, dont le modèle est mondialement connu maintenant : tunique informe à rayures gris-bleu sur fond gris terne. Chacune recevait en même temps son triangle rouge de prisonnière politique et la petite bande d’étoffe cousue sur la poitrine gauche sur laquelle était imprimé son numéro d’immatriculation, sa seule identité désormais.
Quand nous nous sommes vues ainsi clochardisées, nous avons ri. Comme si c’était pour rire, comme si ça ne pouvait pas être vrai. Je vois encore une certaine Violette esquissant un French-Cancan pour accentuer encore le grotesque de ses dessous et nous nous en amusions du ridicule de notre propre silhouette. Bientôt, nous allions apprendre à trembler. Mais jamais ils n’ont pu nous empêcher de rire : c’était la forme la plus répandue du courage quotidien.
Un document d’histoire. On vit la clandestinité. La révolte des Résistants et leurs choix de s’opposer à la loi dictée par l’occupant. De l’appartement d’Issy-les-Moulineaux, au Palais d’Orsay, on suit l’arrestation et l’interrogatoire. Ensuite, l’auteur nous immerge dans le milieu carcéral de la prison de Fresnes. Avec Éliane et ses compagnes, on se retrouve au camp de triage de Royallieu près de Compiègne, puis dans le train qui part en Allemagne, avec ses sinistres wagons à bestiaux. Le convoi compte 27 000 femmes. L’épreuve de dégradation humaine commence par la soif. Elle se poursuit par l’arrivée à Ravensbrück. On est partagée entre l’horreur (92 000 femmes y périrent) et la foi d’une chrétienne qui éclaire l’épreuve imposée par la machine à broyer les individus, instituée par le système nazi. Puis, c’est le récit quotidien et pudique d’une aventure hallucinante. La vie d’une déportée de base à Holleischen. La déchéance humaine qui fait son œuvre. On ne peut pas, on ne doit pas ignorer ces êtres transformés en fantômes vivants. On admire la dignité de ces femmes aux corps humiliés mais dont l’âme survivra à toutes les épreuves. Le lecteur découvrira la solidarité de ces « dames » qui est l’une des formes les plus pures de l’Amour.
Ce livre me fait penser à celui de Primo Levi (« Si c’est un homme »), à celui d’Etty Hillesum (« Une vie bouleversée »), et bien sûr au journal d’Anne Frank.
Il me fait penser aussi au rire dans les société totalitaires : voir le livre de milan Kundera (la Plaisanterie ») et à un passage du film l’Aveu (Arthur London, avec Yves Montand) : les accusés du procès stalinien sont en salle d’audience. Les faux témoignages, les aveux extorqués, la violence et la mauvaise foi des juges, tout cela finit par faire trop ! La tension est extrême, insoutenable. Et soudain, un des accusés se lève et son pantalon mal attaché tombe. Quelques rires retentissent et progressivement, c’est l’hilarité générale, impossible à arrêter par le Président du tribunal. Un rire nerveux, incoercible ! un rire qui révèle l’accumulation des souffrances … Le rire, seule arme contre l’absurde et le totalitarisme.
Contre la violence, la perle !
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