Mais vous né respirez yamais ?

Notre grande amie Kozana est dans son lit d’hôpital. Elle est gravement malade et sait qu’elle va bientôt mourir. Et pourtant, ce matin-là, elle regarde attentivement la kiné du service s’affairer autour d’elle. Celle-ci lui prodigue avec application son massage des jambes quotidien. Et Kozana la regarde. Et elle finit par lui dire, avec son accent sud-américain inimitable : « Mais vous né respirez yamais ? ».

La kiné lève la tête incrédule, tant cette question tranche avec le type de relations qu’elle entretient d’habitude avec ses patients.

  • Mais vous né respirez yamais ? insiste Kozanna , avec une voix pleine de sollicitude.
  • Euh, non, je veux dire oui, enfin … non.

Kozana , qui était il faut le dire Professore dé Voix dans sa vie professionnelle, explique patiemment de sa voix douce et insistante : « Yé vous observe et yé vois qué vous né respirez pas boucoup. Pendant les soins, il faut aussi qué vous respirez lentement pour vous occuper dé vous, né pas oublier qué vous aussi vous avez bésoin dé douceur dans su cuerpo. Rédressez vous, fermez les yeux, fléchissez un peu les genoux. Là… Respirez lentement avec su vientré, lé périnée et yousqu’au trou dou coulo ».

Légèrement troublée, Lucie, la Kiné fait ce que « sa patiente » lui dit. Elle se calme et sourit :

  • C’est bien la première fois qu’une patiente prend soin de moi. Et ça va beaucoup mieux, dit-elle en respirant profondément.

Dans un sourire et un mouvement souple de tout le corps, Lucie prend congé. Le lendemain, elle en a parlé avec son amie Karine, aide-soignante, et les voici toutes deux debout devant Kozana, yeux fermés, prenant un cours de respiration, puis un cours de voix :

  • Pensé qué vous êtes dos gigantes qui sortent de leur cueva, non … caberne. Voix très profondes, Oui, c’est ça, moins dé voix et plous dé souffle, Karine.

Au bout de quelques jours, l’ambiance a changé dans le service. Tout le monde, jusqu’aux infirmières et mêmes aux jeunes internes, se donne rendez-vous dans la chambre de Kozana pour la leçon de chant. Ça dure trois minutes, on se relaye en se tapant dans le dos.

La maladie de Kozanna va lui laisser quelques semaines de répit. Elle va rentrer chez elle avant de devoir revenir à l’hôpital, hélas.

La veille de sa mort, elle a appelé ses proches amis et leur a dit qu’elle se préparait à partir pour un « mystérieux ouayache » (voyage). Bien sûr, cet adieu a été pour elle une terrible épreuve et pour ses amis un déchirement.

Mais quelques semaines avant de partir, dans sa chambre d’hôpital, c’est le bien-être de sa jeune kiné qui lui importait.. Avec sa simplicité et sa générosité habituelles, elle l’a interpellée : « Mais vous né respirez yamais ? ».

Une vie bonne à toutes et à tous ! 

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17 Replies to “Mais vous né respirez yamais ?”

  1. Anonyme

    Quel magnifique partage, témoignage, hommage. Je n’ai pas connu Kozana mais j’ai souvent entendu parler d’elle au sein du Bataclown… Ce soir, au travers de tes mots, elle m’a permis aussi de respirer…. Merci à tous les deux alors

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  2. Brigitte

    Merci Bertil, pour cette si belle histoire. grâce à toi, je réentends la voix de Kosana et je vois qu’elle est toujours bien vivante dans nos pensées et dans nos coeurs.

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  3. Anne Guérin Charlot

    Kozanna, une grande âme et une grande voix , a compris que s’occuper des autres jusqu’au bout…rend heureux… Quel magnifique témoignage!

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  4. Klein

    Merciii pour cette touchante tranche de vie pleine d’humanité qui vient me reinterpeller sur l’être au delà du faire
    Bise

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    1. Bertil Sylvander Post author

      Merci à toi, Cora ! « se laisser réinterpeller » … ça veut dire « être vivant ». Merci à Kozanna de continuer à nous inspirer !

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  5. Cora

    Merciii pour cette touchante tranche de vie pleine d’humanité qui vient me reinterpeller sur l’être au delà du faire
    Bise

    Répondre
  6. Cora

    Merciiii pour ce morceau d’histoire de vie
    Plein d’humanité qui nous ramène à l’être au-delà du faire
    Bise

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  7. Saule Ryan

    Merci Bertil pour cette belle hommage à Kozana. Je n’avais jamais entendu cette histoire avant, mais ça ne m’étonne pas d’elle! Et je suis triste d’entendre la nouvelle de Gribouille avec qui j’ai travaillé l’année dernière à La Robin et que j’ai revu à Malerargues au printemps. Je lui envoie mes pensées positives pour qu’elle puisse sortir de l’hôpital très bientôt!

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  8. luluche

    pour une prof de chant c’est de la conscience professionelle jusqu’au dernier instant…..ma belle mère qui n’était qu’une « housewife » s’est éteinte après ces mots : « j’ai toujours aimé le thé….. »

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  9. arcuri

    Bonjour Bertil,
    Je ne connaissais pas cette dame mais elle fait penser à d’autres de nos amis clown qui ont gardé et gardent très fort cet amour de l’autre. En ce moment notre amie Gribouille qui est a l’hôpital. Elle garde très fort l’espoir de tordre le cou a ce crabe (la maladie)
    Je le souhaite et le sens possible…
    Et puis notre cher Bubu aussi me revient en mémoire avec cet article. Sur son lit d’hôpital dans un regard vers moi il me dit: « comment se fait-il qu’une jolie femme comme toi ne trouve pas un homme magnifique… »
    Les clowns souvent sont des humains altruistes, généreux et soucieux de leur prochains…
    N’est ce pas ce qui nous importe le plus…au fond?
    Rosetta

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    1. Bertil Sylvander Post author

      Oui, Rosetta tu as raison de parler de Gribouille, que nous accompagnons tous dans son combat ! je devais jouer avec elle la semaine prochaine, mais ce n’est que partie remise ! Elle aussi a cette générosité qui enrichit et éclaire l’autre. Lors du stage « analyse de pratique » l’an dernier, elle a apporté son regard profond sur le travail des autres… et Bubu ! Merci de nous raconter cela, typiquement de lui !

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  10. David Goldsworthy

    Merci Bertil, de cette hommage à Kozana, femme de vitalité, d’originalité, de créativité inépuisable, et de talents de communication – même à la fin de ses jours.

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  11. bernard thirion

    yé trouvé qué cé tres émouvant! Quand la relation de soin est un partage tout devient plus simple. Merci.

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    1. Matheron Pascal

      Ce qui est fantastique, c’est de voir que Kozanna pense aux autres avant de penser à elle même pendant un moment aussi difficile de sa vie…. quelle leçon !!!
      Merci Bertyl de partager ça !
      Pascal des Giboulées

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