Lorsque je parle d’humour, je pense toujours à cette grande dame qui vécut ses derniers instants avec tant de grâce. L’humour est toujours tragique, « l’humour, c’est rire de soi-même » (J.M. Ribes). L’humour n’est pas ironie destructrice, c’est une philosophie de vie, la classe, quoi ! Et rire ou faire rire lorsqu’on voit se profiler l’ombre de la mort, c’est faire preuve d’une force d’âme presque surnaturelle, c’est affronter le grand mystère avec élégance, c’est oser regarder dans les yeux la camarde, à laquelle nul n’échappe, avec une prunelle qui frise …
Cette grande dame était très malade. Son médecin n’avait plus d’espoir de la sauver et il la soulageait de ses souffrances comme il pouvait. Sa fille passait ses jours et ses nuits à son chevet et veillait à ses désirs.
Il se trouve qu’un jour du mois de Mars 1966, je fus présent dans cette chambre et j’ai assisté à cette scène que je vais vous conter.
En cette matinée, le grand soleil de Marseille inondait la pièce. Les draps étaient frais, la chambre était propre, l’air était pur. Comme à son habitude, pas question de se laisser aller. Nous avons entendu une petite voix, légère et souveraine, qui disait : « Docteur, mon corps glisse vers le bas … pouvez vous s’il vous plait m’aider à remonter sur mes oreillers ? »
Le docteur s’approcha, la prit fermement, un bras derrière son dos, un bras autour de sa taille et d’un geste puissant la releva.
Pendant cette opération délicate, j’ai alors entendu très clairement la petite voix souffler à l’oreille du Docteur :
- « Docteur, n’en profitez pas ! »
Le bon docteur, ami de la famille, gloussa, je ne sais si c’était un rire ou un sanglot, sans doute les deux. Il la regarda gentiment et elle lui sourit avec malice. Son visage était calme, elle était épuisée. Elle allait mourir le soir même.
Jadis, elle avait été belle, brillante, femme du monde, les hommes à ses pieds. Ne jamais céder, rester tirée à quatre épingles et maitresse d’elle-même jusqu’au bout. Ainsi était ma Granny, ma grand-mère mi-arménienne mi-anglaise ! Toujours le mot pour rire, tout en finesse et en élégance. Un regard acéré, à qui on ne la fait pas. Un sourire amusé sur les turpitudes du monde. Un humour raffiné. La classe !
Ainsi avait-elle été toute sa vie. Et là, alors qu’elle vivait ses derniers instants, elle se montrait encore comme la femme séduisante qu’elle avait toujours été … et du fond de l’abîme où elle tombait, elle blaguait mine de rien : « Bas les pattes, Docteur ! »
Quelle belle leçon ! Merci du fond du cœur, Grande Dame !
(Parfois, on me demande pourquoi je suis devenu clown)
ET VOUS ? Si vous le souhaitez, vous pouvez raconter en commentaires ce qui vous tient à coeur, vos parents, grand-parents, amis qui ont disparu et ont laissé des traces vivantes en vous …
Un autre récit bouleversant du grand passage : https://bertilsylvander.com/la-mort-de-maurice-halbwachs-par-paul-ricoeur/↗
Mon père est décédé des suites d’une maladie de Parkison, les derniers moments qu’il à vécu dans son lit à domicile entouré de ses enfants, petits enfants et arrière grand enfants, notre victoire collective car cela demande une grande organisation. mon père à toujours eu des traits d’humour et il me faisait rire car c’était toujours par surprise! ce jour là il fallait l’aider à le mettre au lit, en fauteuil, le transfert n’est pas évident, instant tendu car il ne faut pas qu’il chute… La soignante et moi lui proposons de mettre la main sur une poignée afin qu’il puisse prendre appui, lentement, il y arrive ..il nous dit » il faut que je fasse tout ! » décalage, humour, il nous sourit, regard, les rires qui arrivent illuminent le moment, merci papa !
Merci Michèle de ce témoignage qui est bien dans l’esprit de mon histoire. Nos âiné se sont visiblement donné le mot (pour rire) pour nous aider, nous qui les suivons de près !
Bonsoir Bertil,
Merci de m’avoir partagé cette histoire magnifique de Granny.
Je vais te raconter dans un autre registre l’histoire d’une dame atteinte de la maladie d’Alzheimer.
La dame de 89 ans est dans la salle à manger de la maison de retraite assise à une table et rigole de bon cœur.
Une soignante s’approche et lui dit :
– Vous avez l’air de bonne humeur Madame.
« Oh oui, je viens de boire le thé avec ma mère et ma tante et à chaque fois on rigole beaucoup »
– Je suis contente que vous ayez passé un bon moment Madame.
Mais la dame s’arrête et son visage devient plus grave.
-Quelque chose ne va pas Madame ?
« Oui, je n’ai pas osé leur dire quelque chose d’important ».
– Que vouliez-vous leur dire de si important ?
« Je n’ai pas osé leur dire quelles étaient mortes »…
Tout d’un coup, Granny revient ! Merci Bertil.
Véronique
merci pour ce beau partage ! j’ai accompagné de près un homme avec un humour extraordinaire, aussi de ce que défient la mort… quand son heure s’approchait, sa respiration c’est fait lourde, c’est ainsi que j’ai compris que le dernier soupir n’est pas une métaphore… nous nous sommes regardés et savions, je lui ai dit à ce moment, tiens tiens cela rassemble à quel son de moto? et il m’a répondu à une Kawasaki ! ainsi il est parti… c’est souvenir qui m’a fait basculer dans ce beau métier du clown d’accompagnement… je vais regarder ton solo et au plaisir de nous recroiser dans la diagonale
C’est beau, ce départ en Kawazaki ! Merci pour ton commentaire, Madame Andréa ! Bises !
Merci Bertil pour ce témoignage si touchant que j’en ai les larmes aux yeux, tout seul devant mon ordinateur… Je ne sais pas si la disposition à l’humour est génétique, mais elle semble à tout le moins héritable. Je vois mieux d’où tu viens!
Cette magnifique histoire me rappelle aussi ma prière préférée:
»Mon dieu, faites que je sois encore vivant à l’heure de ma mort ».
Merci pour ce merveilleux souvenir, Bertil ; je suis heureux que tu aies pu être auprès de Granny jusqu’ à ses derniers instants, et qu’elle ait pu te faire sourire juste avant de s’éteindre. A Bientôt.
Merci Bertil . On est séduits par la grâce de cette vieille dame.
Mon beau père aussi était un grand Monsieur, par la taille et par le coeur. Il avait été, comme beaucoup d’habitants d’Auvergne, ouvrier paysan. Partant des environs de Commentry, dès l’aurore sur sa moto pour une journée d’ouvrier à l’usine Dunlop de Montluçon. Le corps enveloppé d’une épaisse couche de journaux glissés sous le blouson l’hiver pour résister au froid. Il travaillait à la cuisson des pneus, un des postes les plus durs. Rentré le soir à la petite ferme, il attaquait une deuxième journée. De petit paysan en polyculture , vaches, moutons, cochon, cheval pour le labour, blé, orge, champs de patates…. Les volailles, le champ de légumes, les fromages, c’était sa femme. Mais il l’aidait aussi.
Devenu veuf, il venait nous voir assez souvent. Toujours joyeux, bienveillant, plein d’humour et d’à propos.
Tout grand gaillard qu’il était, avec des mains géantes comme des battoirs, il avait beaucoup de tendresse et de douceur pour moi, petite, menue, une souris comme l’avait été sa femme. Je l’aimais beaucoup.
Vers la fin de sa vie, il a dû quitter sa petite ferme isolée dans la campagne. Les derniers temps il était en EHPAD.
Nous allions le voir. Il avait toujours son éclatant sourire et le mot pour rire.
Ce soir là, nous terminons la visite, nous lui disons bonsoir. Jean-Pierre, son fils, lance : « Allez, on y va ! Bonsoir Papi ! »
« Oh, répond-il, l’oeil malin, les enfants, si vous y allez, Ben… je vais y aller aussi »
Nous avons souri : « Adi Papi, à demain ! »
Sourire malicieux de Papi : « Adi les enfants ! »
Il n’y a pas eu de demain. Papi s’en est vraiment allé ce soir là.
Il est parti dans la nuit. Sur ce dernier clin d’oeil. Avec le dernier mot, et l’élégance du coeur.
Il était un très grand Monsieur.
Merci Maï de cette très belle histoire, qui m’a incité à ajouter à la fin de mon article une phrase encourageant les lecteurs à raconter le départ de leurs parents, grands-parents ou amis. C’est important de rester fidèle !! Car ce que nous sommes aujourd’hui est en grande partie la trace de nos aînés…
Merci Bertil , je suis sensible à ces derniers instants , ( j’étais soignante) , c’est un récit émouvant tout en délicatesse et légèreté.
Merci Bertil pour ce partage. J’ai été amené à accompagner en ehpad et je suis d’accord avec toi pour dire que tous les clowns, avec la force de leur présence, assis au bord du lit ou du monde, peuvent faire un signe intérieur de la main, en accompagnant l’autre qui disparait loin là-bas après le virage…
Un autre récit bouleversant de l’accompagnement au bord du monde : https://bertilsylvander.com/la-mort-de-maurice-halbwachs-par-paul-ricoeur/
La dignité , la grandeur d’âme et l’humour jusqu’à la fin !! J’en ai les larmes aux yeux. L’héritage a bien été transmis
L’humour, oui, pour l’instant ! Comme pour la résitance, nul ne sait quelle sera son attitude lors grand moment … Il st vrai que ma Granny fut un beau modèle !
Merci Anne pour ton beau commentaire …
bravo mon cher Bertil de tjrs savoir repérer les signes d’élégance et d’humour jusqu’au dernier souffle, digne heritier de cette merveilleuse femme. et merci de ton partage.
Tous les clowns du monde comprennent mieux que quiconque, ce qui se joue dans ces instants … Merci Martine de ce commentaire !
En SSR (Soins de suite), cet homme, un patient d’une cinquantaine d’années (même age que moi, j étais aide soignant) se savait condamné à brève échéance. J’avais sympathisé avec lui. Je rentre dans sa chambre, je prends des News de son ressenti en présence de ses enfants. Ils tirent tous une triste mine ….
je lui dis : Alors M. on se fait la belle ce soir ?…
Réponse : OK, après l’apéro
Moi : J’apporterai les p’tits gâteaux ! A tout à l’heure !
Et je commence a sortir de sa chambre. Dans mon dos, le voilà qui dit à ses enfants avec véhémence :
Lui, au moins, il me fait pas la gueule ! Il me propose de l avenir !
(Je suis ressorti avec un sourire en coin)
Même encore maintenant quand j écris ces lignes, j’ai un tit sourire en coin avec un serrement de ❤️
Je lui avait offert… de l espoir, de la joie, ne serait-ce qu’un court instant.
Trop beau zyanto 😉