Vienne, ce Jeudi 2 Novembre 1932
Nous avons eu hier une soirée très amicale chez Sigmund et Martha et leur fille Anna, en compagnie de Wilhem, Otto et Mélanie. Ce bon Sigmund m’étonnera toujours ! A-t-il seulement lu le programme de Hitler et son livre « Mein Kampf » ? La menace contre les juifs y est explicite. Les élections sont dans trois jours et lui, il ne pense qu’aux dominos !
Nous y avons joué hier. C’est vrai que ce jeu est amusant ! Sigmund joue très bien, mais je me suis défendu comme un beau diable ! Pendant que je déployais ma stratégie, il observait que mon ça prenait le pas sur mon moi et que mes tentatives de dépasser subrepticement le temps qui m’était imparti étaient dus à un surmoi déficient. Il exagère beaucoup, car, de son côté, son oubli de jouer le double six, alors qu’il avait une belle occasion de le faire, relève à n’en pas douter de sa pulsion de mort ! « Thanatos a failli te perdre ! », lui ai-je dit en riant. Mais il n’a guère apprécié ce trait, qu’il a qualifié de passage à l’acte. Je vous demande un peu ! Se laisse-t-il influencer malgré lui par la situation politique ?
De son côté, Mélanie n’arrêtait pas de suçoter son domino, montrant par la même, comme le remarquait Willhem, qu’elle était restée au stade oral. Après un début difficile, celui-ci est arrivé à remonter son handicap, ce qui a causé une blessure narcissique à Sigmund, qui rêvait de caracoler en tête ! Mais son rêve a dévoilé son inquiétante étrangeté, en montrant son pouvoir de puissance : cela a dû lui rappeler en effet une scène primitive refoulée dans son inconscient, au cours de laquelle sa mère avait triomphé de son père lors d’une des parties de dominos qu’ils jouaient en tête à tête. C’est du moins ce que je lui ai dit, mais il m’a accusé de transgression. Son trouble à l’évocation des parties de dominos de ses parents me fait penser que, comme sa sœur Anna, il n’a pas résolu son Œdipe, dont il parle à longueur de pages dans ses écrits ! C’est ce que je lui ai signalé, ce qui a provoqué de sa part une belle colère (sans doute de contre-transfert) et nous nous sommes séparés.
Cet évènement me laisse penser que nos chemins théoriques ne vont pas tarder à s’éloigner. Certes, ces soirées viennoises sont exquises et le jeu de domino follement excitant. Mais la prochaine fois j’irai jouer aux cartes chez Carl Gustav. Mais y aura-t-il une prochaine fois ? J’entends des bruits de bottes dans la rue.
DECOUVRIR « le salon ardent » (Page d’accueil)
Les pages précédentes du journal d’Otto Didakt