(Bertil, avec la complicité de Mati et de Laura, et celle de Selma Lagerlöf)
La lumière … le spleen des suédois ! En décembre à Stockholm, le soleil se couche à 14h30. La nuit baigne tout pendant 18 heures d’affilée ! A peine a-t-on entrevu quelques pâles rayons rasant les épicéas et les bouleaux, que déjà le jour décline et la nuit nous menace tous. Ici, la Lumière a donc son ange tutélaire : Sainte Lucie, Sankta Lucia…
C’est de cette indicible mélancolie nordique que je viens aujourd’hui vous parler.
Dans tous les foyers suédois, on fête la Sainte Lucie, prélude à Noël, le 13 décembre. Avant l’aube, on lève les enfants, on les habille de blanc, on désigne une jeune fille qui sera Lucia et portera sur sa tête une couronne de bougies. Les autres enfants ont un chapeau pointu et ont une chandelle dans les mains. Accompagnés de la chanson « Sankta Lucia », hymne très lent et comme tombé des étoiles, ces petites apparitions vont entrer dans les maisons et défiler silencieusement. Un songe, une promesse.
Quelques temps après, arrive l’ambiance de Noël. On décore les murs de la maison d’étoiles de cristal ; on fixe au mur des images de sombres forêts aux arbres croulant sous la neige (on y distingue les petits génies qui les habitent, les tomtar) ; on place de vraies bougies vivantes un peu partout, surtout aux fenêtres et même dans l’arbre de Noël ; on cuisine des gâteaux à la cannelle, légèrement poivrés … La maison est habillée comme une mariée d’hiver et ses habitants ont le cœur gros d’attente.
Les adultes à ce moment de l’année ne pensent qu’à une chose : faire plaisir aux enfants. Ces derniers vivent ce bonheur éphémère avec avidité : comment profiter à fond de tout ce qui se passe dans la maison ? On va humer les bonnes épices venant de la cuisine, on va se remplir des chants de Noël, on va danser comme des fous autour de l’arbre, on va écouter sagement la lecture de la bible. Un bonheur immense, presque oppressant.
Autrefois, après le dîner aux chandelles (harengs marinés, pommes de terre à l’aneth, jambon de Noël, le tout arrosé de schnaps), on redevenait silencieux, on s’habillait de chaud et on se serrait dans le traîneau qui emmenait tout le monde au culte de Noël. Dans le silence de la nuit, les sabots du cheval frappaient la neige dure, qui crissait sous les patins. Arrivés à la petite église en bois rouge, éclairée de mille bougies, on entrait dans la chaleur du poêle chauffé au rouge et des salutations amicales.
On s’ébroue, on enlève les lourds manteaux et on se congratule. Dans la plus grande simplicité, on vient célébrer Noël.
Ainsi, depuis toujours, la fête fraternelle de la lumière habite le cœur des suédois comme un mythe impérieux. Voici comment Selma Lagerlöf en parle dans ses mémoires (Mårbacka, Actes Sud, 1997) :
« Une chose extraordinaire se produit alors. Cela fait comme le passage d’un vent doux et tiède. On ne saurait dire de quoi il s’agit, mais tous les gens qui durant pratiquement dix heures maintenant ont parlé ensemble, dansé ensemble, joué, assisté à des spectacles, entendu des chants et des discours ensemble, sont maintenant comme prêts à vibrer. Et quand ils arrivent à l’unisson de la splendeur de la nuit et du chant, un délicieux vertige les emplit, une douce extase. La vie est un enchantement, chacun de ses instants infiniment précieux, le moindre de nos souffles une jouissance !
Tout ce que jouent les musiciens, que chantent les chanteurs, chaque note trouve son écho. Et plus encore : on sent que ce sentiment est partagé par tous les autres. Tous ceux qui ici sont réunis pour vivre un immense bonheur. […]
On se congratule. On remarque les larmes qui brillent dans les yeux du voisin. Qu’importe ! C’est si incroyablement bon d’exister qu’on ne peut s’empêcher de pleurer ! […]
“Voilà […], ce ne sont pas les chants, ce ne sont pas les spectacles, pas les danses ni la foule, mais bien ce que nous ressentons tous en ce moment : on bonheur calme et solennel qui emplit nos cœurs et fait affluer en nos âmes cette plénitude qui est celle de la nuit” ».
Dans « Le festin de Babette », tout à la fin du film, vous percevrez l’ambiance que je tente de décrire ici : les villageois dansent et chantent leur gratitude.
Ingmar Bergman a créé une scène de Noël suédois dans son film « Fanny et Alexandre »
Pour finir, je partage cette chanson de Jacques Bertin, dans l’esprit de ce que j’ai écrit ici : « Je voudrais une fête étrange et très calme »
Bravo et merci Bertil pour cette superbe publication et ses illustrations sonores.
Je connaissais Sankta Lucia..
Je vais t’adresser par mail un tableau que vient de réaliser (d’après modèle mais quand même…) Naya ma petite-fille de 11 ans.
On est en plein dans cette magie de Noël !
Merci Bertil de nous faire partager le récit de ces moments précieux où l’on redécouvre qu’il est si simple de ressentir et de créer ensemble de la joie de vivre au plus près les uns des autres.
Cela me ramène aux veillées de Noël de mon enfance où nous chantions autour de la table illuminée, non pas des chants religieux mais « Aux marches du Palais » ou « Il y a longtemps que je t’aime » … le souvenir d’un plaisir immense à mêler ma voix à celles des membres de ma famille.
Je vous souhaite beaucoup de rires, de sourires et de lumière pour 2022!
Merci pour m’avoir fait retrouver Jacques Bertin que j’écoutais en boucle qd j’avais 20 ans… : )
Merci Bertil de partager avec nous ces moments de lumière . Ton article sur Saint Lucie me touche beaucoup, je découvre cette belle fête matinale de lumière portée par les enfants . Lumière sur lumière on en a besoin dans ces temps sombres ou on veut que soit dans l’ombre .
Choukrane Sahbi
Le soir du solstice, tous réunis chez ma voisine Florence, après un beau conte cherokee écouté avec attention par petits et grands, nous sommes sortis dans le froid piquant . Chacun prit une bougie et en chantant « Da pacem » en canon nous sommes entrés dans une spirale tracée en branches de sapin. Trente petites lumières tremblotantes ont fait le chemin jusqu’au centre où elles ont été déposées et une grande ronde enchantée a célébré le retour de la lumière. Moment de grâce, de communion, de gratitude. Merci la vie.
Voici bien la magie de Noël : au cœur de la nuit la plus longue de l’année, pour ce solstice d’hier, alors que les ténèbres semblent envahir la terre, que les nuits semblent s’allonger encore et encore, le soleil reprend le dessus et annonce le retour des jours plus longs. Préfiguration de la prochaine grande fête du calendrier liturgique : Pâques ou la victoire de la Vie sur la mort, la victoire de la lumière, de santa Lucia, de l’Amour ❤️
Nous avons fêté plusieurs fois Sainte Lucie à Graziella; laurent et moi portions les chapeaux pointus et Véronique la couronne. Plus tard ça a été le tour de nos enfants. Texte et photo très inspirant. Merci. C. S et Famille
merci Beryl, grand merci. et voici hier soir ici: « Dans la nuit, au col surplombant la vallée, dans le vent de la nuit, sous quelques étoiles, l’odeur de la forêt de sapins et d’épicéas nous a enveloppés. Après les lumières de la ville, l’ombre de la montagne , puis nos pieds qui font crisser la neige , et parfois glissent sur le verglas.Dans le silence, passe une chauve souris; nous rentrons à la maison allumer les bougies et célébrer le retour des journées qui s’allongent de nouveau. On entend maintenant couler la source , bientôt ce sera le chant rassurant de la rivière. Point de biches ce soir, point de renard , mais près des maisons là, un chat. Joyeux , tendre et doux Noël »