Nos souvenirs d’école, point aveugle de notre société ? Soit on a été bon élève et on le clame haut et fort (on oublie souvent les humiliations), soit on en a honte (ma fille me dit que les bons élèves n’ont pas toujours la cote au collège), soit on a été mauvais élève et on le clame (dans ce cas, Daniel Pennac émet un doute : « Je ne crois pas les anciens cancres. Si l’on guérit parfois de la cancrerie, on ne cicatrice jamais tout à fait les blessures » (p.95), soit on en a honte. En tous cas, voilà la question de l’échec scolaire posée et pour une fois bien posée !
Ce livre de Daniel Pennac paru en 2007 est un véritable régal ! L’auteur, qui a été longtemps enseignant, puis écrivain a conçu un livre unique sur « l’échec scolaire » (« les cancres »), truffé d’histoires étonnantes, d’analyses subtiles et justes, de compréhension réelle, d’anecdotes réparatrices et surtout d’amour et d’humour !
Le cancre vit dans le mensonge en permanence, vis à vis de lui-même comme du monde. La seule chose sur laquelle nous pouvons personnellement agir et qui, elle, date de la nuit des temps pédagogiques : la solitude et la honte de l’élève qui ne comprend pas, perdu dans un monde où tous les autres comprennent (p.41). D’où l’impossibilité d’être là, d’être présent (p.80). Ce temps de l’indicatif que Pennac appelle le « présent incarné ».
Pennac analyse bien (pour l’avoir vécu lui-même) l’impression d’impuissance absolue du cancre devant une sorte de mystère, qu’il ne sait même pas décrire. « J’y arriverai jamais ! » Et l’enseignant d’analyser en bon prof de français ce fameux « Y » : arriver à quoi ? « J’en ai rien à foutre ! » C’est quoi, ce « EN » ? (p.120) .
Pennac s’en est sorti. Deux ou trois profs bien, au bon moment. Donc c’est possible. Donc : que faire ?
Tout d’abord, ce n’est pas un problème d’idéologie et de grandes idées, d’imprécation. « En aura-t-elle proféré, des sottises, ma génération, sur les rituels considérés comme marque de soumission aveugle, la notation estimée avilissante, la dictée réactionnaire, le calcul mental abrutissant, la mémorisation des textes infantilisante, … » … Dès que nous cessons de réfléchir à des cas particuliers, nous cherchons, pour régler nos actes, l’ombre de la bonne doctrine, la protection de l’autorité compétente, la caution du décret, la blanc-seing idéologique. Puis nous campons sur des certitudes que rien n’ébranle, pas même le démenti quotidien du réel. Trente ans plus tard seulement, si l’éducation nationale entière vire de bord pour éviter l’iceberg des désastres accumulés, nous nous autorisons un timide virage intérieur, mais c’est le virage du paquebot lui-même, et nous voilà suivant le cap d’une nouvelle doctrine, sous la houlette d’un nouveau commandement, au nom de notre libre arbitre bien entendu, éternels anciens élèves que nous sommes. (p.143).
Non, c’est dans le quotidien de la classe qu’il faut agir. Et pour le comprendre et le faire, quel est le profil idéal de prof ? avoir été un ancien cancre !
Comment Pennac s’en est-il sorti ? (p. 96). La rencontre avec un prof. Le principe fondateur ? On ne connait qu’à la fin (mais l’auteur ose à peine l’avouer) : l’amour de celui qui est fracassé. Comment cet amour s’exprime-t-il concrètement ? Pas par la psychologie ni par la complaisance, mais par le travail. Il le dit très bien, à partir de son expérience d’enfant. Un jour, suite à une entrevue avec le principal, le cancre qu’il était ressort motivé à fond, mais il replongle aussitôt parce que : « J’avais beau travailler mon algèbre, je ne me souvenais de rien, car le prof et moi, on n’avait pas parlé d’algèbre, mais de moi ! ». Ce n’est donc pas du problème qu’il faut parler, ni de l’élève, ni de ses mensonges, de ses fuites ou de sa paresse, de rien de tel ! Voici la clé (p. 124) : « les maux de grammaire se soignent par la grammaire. les maux d’orthographe se soignent par l’orthographe, la peur de lire par la lecture, celle de ne pas comprendre par l’immersion, et l’habitude de ne pas réfléchir par le calme renfort d’une raison limitée à l’objet qui nous occupe, ici et maintenant, dans cette classe, pendant cette heure de cours ». (p. 128) « Jocelyne pleure, mais quand Montesquieu nous fait l’honneur de sa présence à notre classe, on se doit d’être présent à Montesquieu ! ».
Il nous emmène dans le corrigé pas à pas d’une dictée (p. 145), il fait corriger une dictée par les élèves d’une autre classe ! (p. 153) (on l’on voit les annotations suivantes dans la marge : abruti ! crétin !). Il parle des effets de la bêtise , il expose les fautes les plus spectaculaires ! (p. 168).
Pour travailler, il faut déjà arriver dans le classe, prendre le temps, se détendre, faire l’appel de manière calme et posée, rompre un sort, s’installer dans le présent de l’indicatif (p.174).
Puis vient l’enthousiasme des progrès, apprentissage de la grammaire, jouissance de la lecture, apprentissage par cœur des plus beaux textes, que les élèves retiennent toute leur vie (p. 108).
Là où l’auteur est moins convaincant, c’est à partir du milieu du livre, quand il s’exerce à l’exposé des hypothèses sociologiques explicatives de l’échec scolaire, en adoptant comme cause première la société de consommation : si les élèves sont mentalement absents, c’est parce qu’ils sont esclaves des marques. C’est sans doute vrai en partie, mais quid de la dévalorisation de la fonction d’enseignant et de l’école en général, de l’effondrement de l’autorité parentale liée au règne de la séduction (voir Daniel Marcelli), de la montée du chômage, des banlieues livrées aux cartels de la drogue ou de l’islam ? Ici, la critique classique « de gauche » devrait plutôt affronter les faits avant de céder à l’idéologie.
Mais laissons à l’auteur le mot de la fin : « Les profs ne sont pas préparés à la collision entre le savoir et l’ignorance, voilà tout ! » (p. 296). Ce qui fait qu’une des conditions à ses yeux pour être un bon enseignant, serait d’avoir été un cancre dans son enfance !!!
Comment survivre à un chagrin ? La révolte ? oui, parfois. Mais la sagesse nous enseigne qu’il faut passer par sa transformation … Allez voir mon texte sur La perle !
Découvrir le Salon Ardent ?
Ah voilà un livre qui mérite d’être lu, relu et appris par cœur ! (Référence à tous ces textes que Pennac faisait apprendre à ses élèves).
Une phrase s’il ne fallait en retenir qu’une, pour la jeune professeure que je suis : « un bon professeur est un professeur qui se couche tôt ! »
Oh combien cette phrase est vraie ! Combien faut-il de patience, d’attention, d’énergie pour accompagner, recadrer, faire comprendre. Rien que de le dire ça me fatigue… je vais faire une sieste : je me suis sans doute couchée trop tard…!