La création du monde, rêve du rouge au souffre, par Jean Q.

Mon village aime les fêtes. Pendant 2 ans, j’ai créé le spectacle « Magie dans la nuit » avec une centaine de participants très engagés dans cette création. Ce travail de préparation se déroulait chez moi, aux « Granges » et le spectacle eut un très beau succès. Quelques semaines après, je faisais ce rêve.

Tous les acteurs et intervenants sont en train de préparer le spectacle, tous réunis dans trois granges comme là où je vis, mais immenses et communicantes. C’est bien l’atmosphère de la création de « Magie dans la nuit » : dense, intense, joyeuse.

On crée les décors, les costumes, l’histoire. On s’affaire par petits groupes de 5-6 personnes, acteurs, décorateurs, brodeuses, menuisiers … Une fourmilière en pleine activité où chacun sait ce qu’il a à faire. Ça rit, ça discute, ça jacasse, ça s’appelle d’un atelier à l’autre, et surtout ça grouille de vie active. La préparation du spectacle et est un spectacle lui-même : magnifique de vie, d’abondance et de richesse. Tous les habitants de mon village sont là.

L’unité harmonieuse de la fourmilière est donnée par la beauté de ces trois salles semblables ; elle est donnée aussi par la couleur rouge dominante des tissus qui couvrent les murs, constituent les vêtements et les décors. Rouge qui se décline en d’innombrables valeurs différentes : rouge cassis, rouge framboise, rouge sang, tous les rouges imaginables chamarrés ou unicolores, simples cotonnades ou brocards fastueux, soies et velours magnifiques, légers ou lourds.

J’avance dans la première salle et contemple le superbe spectacle dans sa préparation. J’apprécie la joie et l’excitation créatrice qui règne dans les équipes. Chacun élabore sa partie du spectacle, sans s’occuper des autres, et pourtant ça « tourne rond » efficacement et sans problème, dans une atmosphère chaleureuse.

Je reprends ma marche et découvre au bout de la seconde grange un troisième atelier que je rejoins par un petit escalier. Les bruits de la ruche se calment progressivement, les personnes sont de moins en moins nombreuses et le silence s’installe peu à peu.

J’arrive dans un endroit tranquille au fond de l’atelier. À ma droite, je découvre une petite fontaine à étages. L’eau jaillit, s’écoule et ruisselle dans une vasque qui déborde elle-même dans un petit bassin en dessous. Dans le silence, le bruit de l’eau qui coule est reposant et me fait du bien. Je n’entends plus que lui et porte mon attention sur la fontaine. Une légère brume éclate en milliers de gouttelettes. Mon regard se concentre sur le halo qui s’en dégage. C’est une brume légère, pétillante, dense, extrêmement lumineuse, qui dessine une sorte d’écume vive, argentée, en forme de cercle et bondissante comme l’écume de l’océan. Je me rapproche encore. Elle est entourée maintenant par un halo jaune intense, un soufre magnifique de luminosité. Tout cet ensemble vibre sur une haute fréquence, comme un arc électrique.

Au coeur de l’arc jaillit soudain à profusion un flux continu d’images, indiscernables d’abord. Je me rapproche. Et là, au coeur du jaillissement, je reconnais des centaines de larves, qui s’éveillent leur sommeil, toute une vie de minuscules organismes informes projetés à l’air libre et à la lumière. Des mouches, moustiques, quantités d’insectes. Puis scarabées, grenouilles, serpents se succèdent, toujours en quantité généreuse, dans un jaillissement de vie s’écoulant en torrent. Stupéfiant.

Ce que je regarde avec bonheur, c’est la création de la vie sous mes yeux, défilant à toute vitesse, à partir de cet arc de lumière. Aussi vite qu’ils sont apparus, tous ces organismes vivants retournent dans l’obscurité et disparaissent, tandis que d’autres animaux, gazelles, chevreuils, renards, apparaissent. Ils défilent sous mes yeux éblouis et disparaissent dans le néant à leur tour, dans la grande roue d’une apparition-disparition permanente, toujours renouvelée.

Je suis un coeur du mystère de la création. J’ai accompagné le sang de la vie tout au long des ateliers rouges, jusqu’à arriver à la création elle-même, dans son arc de soufre lumineux et vibrant.

 

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