Une poupée SDF ? Cela existe, je l’ai vu.
Novembre 2014. La dame est assise sur un banc public, près de la gare Montparnasse à Paris. Cheveux gris, teint couperosé. Elle est vêtue de gros vêtements de laine accumulés et s’accoude sur les sacs dépareillés qu’elle a posés à côté d’elle. Elle regarde le vide et mâche lentement un morceau de mandarine. Au sol, devant le banc, une petite fille elle aussi vêtue de guenilles. Cinq ou six ans ? Elle est assise sur le trottoir et elle joue.
Elle a posé à côté d’elle, à même le ciment, une petite feuille de papier hygiénique blanc : c’est le drap de dessous. Et une autre feuille : le drap de dessus que la petite ajuste avec soins. Entre les draps, une allumette à qui la petite maman raconte une histoire avant de dormir. Geste tendres, voix tendre, chuchotée. Oui, elle joue à la poupée !
Je la regarde et lui dis bonjour. Elle baisse la tête en riant. Et je me demande : Quand a-t-elle dormi pour la dernière fois dans un lit, entre des draps blancs ? Comment élève-t-elle sa poupée ? Que lui raconte-t-elle ? A quoi jouent-elles ensemble ?
A la vie errante, aux nuits incertaines, aux rencontres hasardeuses … C’est possible : à quoi jouaient les enfants dans les décombres du tremblement de terre à Haïti en 2010 ? Au tremblement de terre ! A quoi jouions nous, avec mes amis algériens, le dimanche après-midi dans les années 50 ? A la guerre d’Algérie.
Mais elles se racontent peut-être aussi des histoires de bonnes fées et de princesses ? Pour fuir, pour embellir les choses ? La catharsis. Dans les caves de Sarajevo assiégée en 1994, des clowns et des musiciens faisaient rêver les enfants. Les clowns en milieu de soins tels que nous les faisons travailler au Bataclown sont à la fois dans le rêve et dans la réalité des personnes qu’ils visitent.
Contrairement à Maslow, je pense que les besoins ne sont pas hiérarchisés. Dans toute notre dignité d’humains, nous avons besoin en même temps de spiritualité, de dignité, d’amour, de pain et d’un bon lit aux draps blancs … même pour y mettre une allumette !
Je m’éloigne à contre cœur de cette petite famille, devant l’apparente impossibilité de la rejoindre (est-ce si sûr ? Voir le film « No et Moi »). En tous cas, ces questions tournent dans ma tête … Comment cette petite a-t-elle pu mobiliser ses ressources enfantines pour, sans le savoir, dépasser son malheur ? Connaissait-elle les ressources d’une huître perlière ?
Une vie bonne à toutes et à tous !
Bertil
Merci Bertil pour cette belle histoire de Selma et celle de la poupée SDF ! très touchantes l’une l’autre par leur langage symbolique entre autre…
Les enfants sont bien souvent nos maîtres !
La vagabonde du parvis d’Anatole (Commentaire de Rabia Zaid)
depuis quelques jours
elle a pris ses quartiers
en bas de chez moi
sur le parvis d’Anatole
sa silhouette s’active
sur ce bout de territoire
caddy et sacs plastique
son patrimoine
elle déplace ses petits riens
sur cet espace de la République
qui l’a oubliée
installation pour la nuit
ses cheveux blancs
son dos voûté
se calent dans son couchage
de fortune
appuyée contre la porte
de l’école maternelle
la trace des rires des enfants
l’aide à s’endormir
je m’approche
elle refuse
qu’on l’approche
je rentre dans mon univers
j’oublie le sien
5h32
elle se réveille
elle me réveille
elle hurle sa colère
au Monde
elle ne réclame pas
la justice des hommes
elle réclame
la justice de Dieu
elle se calme
je me rendors
plus tard
des ouvriers de la République
travaillent
sur le parvis d’Anatole
elle
elle a disparu
jusqu’à ce soir
Merci Bertil pour ton émouvante histoire . Merci à tous pour vos commentaires .
Ce partage est très riche d’enseignement et de sentiments.
From Angie W.:
‘When life is weary in us, may the clowns be waiting next to little beds ready to tuck us in and hold our hands while we rest awhile. And then the clowns can have turns lying down, and have their hands held by the ones restored.’
Lorsque la vie est lourde pour nous, souhaitons que les clowns se tiennent tout près de nos petits lits, prêts à nous border et à nous tenir les mains pendant que nous nous reposons un moment. Et puis les clowns pourront à leur tour se coucher et ceux qui iront mieux leur tiendront les mains.
Laurent T. (Bordeaux)
Bonjour Bertil, je rentre a l ‘instant de Paris où j’ ai passé la semaine et découvre l’ histoire de la petite fille et de sa poupée. Je suis ému, touché par ton récit…
Emouvant Bertil… La petite fille à l’allumette… Et le coeur qui se brise de celui qui voit ça et se sent impuissant..
Bises, Agnès
Bonjour Bertil,
L’histoire, avant de l’avoir lue jusqu’au bout, m’a rappelé la lecture de « La petite fille de Monsieur Linh », de Philippe Claudel. Et, quel rapport, une histoire d’enfance peut-être, un lien mystérieux des histoires à ma propre histoire, « La petite fille aux allumettes ». Les histoires nous traversent pour que nous puissions écrire la nôtre. Un jour, nous les croisons, et comme lorsqu’un inconnu paraît nous reconnaître, elles nous sautent au cou, parfois pour nous embrasser, nous embarrasser, nous serrer trop fort.
Bien amicalement, Bruno
https://www.babelio.com/livres/Claudel-La-petite-fille-de-Monsieur-Linh/2287
Philippe Claudel
ISBN : 2253115541
Éditeur : LE LIVRE DE POCHE (29/08/2007)
Résumé :
C’est un vieil homme debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme se nomme Monsieur Linh.
Il est seul désormais à savoir qu’il s’appelle ainsi. Debout à la poupe du bateau, il voit s’éloigner son pays, celui de ses ancêtres et de ses morts, tandis que dans ses bras l’enfant dort.
Le pays s’éloigne, devient infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde disparaître à l’horizon, pendant des heures, malgré le vent qui souffle et le chahute comme une marionnette.
Comme elle est belle, ton histoire, Bertil ! J’en suis toute ramollo du dedans. Merci !
Michèle F.
Un commentaire de mon amie d’enfance Lucile M.
Mon fils Chris est parti en expédition en Indonésie à 21 ans, à ses frais, avec deux autres étudiants d’Oxford. Il avait mis son mini-lapin doudou et fétiche dans son sac à dos et l’a donc emmené un peu partout ! Un jour, dans un village, il a rencontré une toute petite fille qui regardait fixement le lapin qui pendouillait du sac … Chris le lui a donné (comme il n’y avait pas de lapins dans cette jungle, mais des chiens qu’on mange volontiers, c’était risqué !). Chris y est retourné plusieurs années plus tard pour aller voir son guide et il a revu la petite fille qui avait grandi bien sûr et il a revu aussi … un morceau de son lapin !
Heureusement que les poetes et les clowns existent encore pour prendre le temps de regarder et d’écouter le détail du monde. Souvent, la vie galoppante nous rend aveugles et sourds et ne nous laisse pas le temps de le prendre.
Bernard T.
Merci Bertil.
Une allumette … Un petit drap blanc de dessous… et de dessus.. et des paroles de tendresse et c ‘est tout un monde qui est né.
Et merci de ces commentaires Rabia, Pierre, Jacotte
C ‘est peut-être cette image qui m’a appelé le souvenir suivant.
J ‘ai rencontré un couple de très jeunes parents. Je faisais une échographie à la future jeune maman. Sa maturité m’a touchée. Je m’en souviens encore. Le Papa faisait une prise de conscience… Il disait : oui il faudra que je change, ce ne sera plus pareil. Il était en chemin. Ses yeux brillaient. C’était un papa en gestation. Leur futur bébé était en pleine forme. Je n’ai pas entendu ce qu il disait, mais c’est sûr qu’il avait tout entendu … Il faisait des galipettes …
Nous avons échangé. Il y a eu des rires, des sourires, des questionnements. Ils vivaient dans un camion. Ils parlaient de certaines difficultés… de leurs habits qui sentaient l’humidité : Excusez nous, Oui ce n’est pas toujours facile. C’est vrai, pour le bébé, on a des changements pratiques à envisager… Je disais : Oui prenez soin de lui, de vous.
Apres ils ont attendu le compte rendu. Mes collègues faisait des commentaires sur leur mauvaise odeur, leur manque d’hygiène… Et en plus, s’ occuper d’un bébé, si ce n’est pas malheureux …
Nous avons parlé. La tendresse n’a peut être rien à voir avec l’ odeur ? Il y a des personnes très propres sur elles, bien parfumées et qui ont des enfants malheureux.
Bien sûr, ce bébé a besoin lui aussi de soin et de se sentir en sécurité, mais c’ est bien ce que pensent et disent ses parents, Ils disent qu’ils vont prendre soin de lui.
Ils étaient en chemin… ensemble
Le bébé dans le ventre de sa maman, l’ avenir qui se trame, pas encore tout à fait là … et déjà là. Entre réel et imaginaire.
Bon chemin Bertil
Sylvie
Incroyable je suis justement en train de lire « No et Moi », Merci Bertil pour ces écrits. Des bises, Gribouille
Merci Bertil, pour ce très beau texte. La phrase « les clowns en milieu de soin sont à la fois dans le rêve et dans la réalité des personnes qu’ils visitent ». Nadine
Quoi de plus réjouissant que d’apprendre-même assez tard dans notre vie- que nos échecs, nos blessures ou tout simplement notre petitesse sont tout à fait compatibles avec la joie , puisque malgré tout on a joué!
Merci Jacquotte… « Malgré tout, on a joué ! » Super. C’est la définition de l’humour, non ? « Rire quand même ! »
Commentaire de Pierre P. Ton récit m’a rappelé que quand j’étais enfant (5-6 ans) à la campagne j’ai entendu un jour hurler une voisine, punaise de bénitier, diseuse de bon-catéchisme ; je me suis approché du portail de la cour de l’école où je jouais seul (mes parents étaient instituteurs) en cette fin d’après-midi d’automne ; c’est là que j’ai vu cette mégère vilipender un homme en haillons poussant une bicyclette qui n’en avait plus vraiment l’air : un mendiant. Alors je n’ai fait ni une, ni deux, dans mon innocence enfantine : j’ai ouvert le portail, ce qui m’était interdit, j’ai dévalé le chemin, je me suis approché de cet homme, je lui ai pris la main et je lui ai dit « venez, ma maman va vous donner à manger », ce qu’elle fit, probablement un morceau de pain et de fromage, quelques fruits ; je ne sais plus très bien, mais je me souviens de ma fierté de marcher main dans la main avec cet homme sale, qui sentait mauvais, et qui est entré, ce qui n’avait pas dû lui arriver souvent, dans la cour de l’école, en laissant derrière nous cette furie qui maintenant nous invectivait tous les deux. Je me souviens aussi de l’acrobatie verbale de ma mère me reprochant, quand l’homme était reparti, d’avoir transgressé la loi de non-ouverture du portail et l’interdiction de sortir de la cour, me mettant en garde vis à vis des inconnus, et en même temps me faisant sentir qu’elle était aussi fière de moi.
Monsieur Bertil
J’adore ce que tu écris.
Je suis émue…
Rabia,
Merci Rabia, par ce simple « commentaire », tu donnes tout son sens à mon projet de « Salon Ardent » ! Envoie moi tes poèmes !