Tissage 4 à propos de « Vous né respirez yamais ? »
Notre grande amie Kozana est dans son lit d’hôpital. Elle est gravement malade et sait qu’elle va bientôt mourir. Et pourtant, ce matin-là, elle regarde attentivement la kiné du service s’affairer autour d’elle. Celle-ci lui prodigue avec application son massage des jambes quotidien. Et Kozana la regarde. Et elle finit par lui dire, avec son accent sud-américain inimitable : « Mais vous né respirez yamais ? ».
La kiné lève la tête incrédule, tant cette question tranche avec le type de relations qu’elle entretient d’habitude avec ses patients.
- Vous né respirez yamais ? insiste Kozana, avec une voix pleine de sollicitude.
- Euh, non, je veux dire oui, enfin … non.
Kozana explique patiemment de sa voix douce et insistante : « Yé vous observe et yé vois qué vous né respirez pas boucoup. Pendant les soins, il faut aussi qué vous respirez lentement pour vous occuper dé vous, né pas oublier qué vous aussi vous avez bésoin dé douceur dans su cuerpo. Rédressez vous, fermez les yeux, fléchissez un peu les genoux. Là… Respirez lentement avec su vientré, lé périnée et yousqu’au trou dou coulo ».
Légèrement troublée, Lucie, la Kiné fait ce que « sa patiente » lui dit. Elle se calme et sourit :
- C’est bien la première fois qu’une patiente prend soin de moi. Et ça va beaucoup mieux, dit-elle en respirant profondément.
Dans un sourire et un mouvement souple de tout le corps, Lucie prend congé. Le lendemain, elle en a parlé avec l’aide-soignante et les voici toutes deux debout devant Kozana, yeux fermés, prenant un cours de respiration, puis un cours de voix :
- Pensé qué vous êtes dos gigantes qui sortent de leur cueva, non … caberne. Voix très profondes, Oui, c’est ça, moins dé voix et plous dé souffle, Karine.
Au bout de quelques jours, l’ambiance a changé dans le service. Tout le monde, jusqu’aux infirmières et mêmes aux jeunes internes, se donne rendez-vous dans la chambre de Kozana pour la leçon de chant. Ça dure trois minutes, on se relaye en se tapant dans le dos.
La maladie de Kozana va lui laisser quelques semaines de répit. Elle va rentrer chez elle avant de revenir à l’hôpital, hélas.
La veille de sa mort, elle a appelé ses proches amis et leur a dit qu’elle se préparait à partir pour un « mystérieux ouayache » (voyage). Bien sûr, cet adieu a été pour elle une terrible épreuve et pour ses amis un déchirement.
Mais quelques semaines avant de partir, dans sa chambre d’hôpital, le bien-être de sa jeune kiné lui importait beaucoup. Avec sa simplicité et sa générosité habituelles, elle l’a interpellée : « Vous né respirez yamais ? ».
Commentaires reçus
Agnès D.
Hé viva Kozana !
Brigitte L.
Merci Bertil, pour cette si belle histoire. grâce à toi, je réentends la voix de Kozana et je vois qu’elle est toujours bien vivante dans nos pensées et dans nos coeurs.
Anne G-C.
Kozana, une grande âme et une grande voix, a compris que s’occuper des autres jusqu’au bout…rend heureux… Quel magnifique témoignage!
Cora K.
Merciii pour cette touchante tranche de vie pleine d’humanité qui vient me ré-interpeller sur l’être au-delà du faire
Bise
Bertil en réponse à Cora
Merci à toi, Cora ! « se laisser réinterpeller » … ça veut dire « être vivant ». Merci à Kozana de continuer à nous inspirer !
Saule R.
Merci Bertil pour ce bel hommage à Kozana. Je n’avais jamais entendu cette histoire avant, mais ça ne m’étonne pas d’elle! Et je suis triste d’entendre la nouvelle de G., avec qui j’ai travaillé l’année dernière à La Robin et que j’ai revu à Malérargues au printemps. Je lui envoie mes pensées positives pour qu’elle puisse sortir de l’hôpital très bientôt !
Luluche
Pour une prof de chant c’est de la conscience professionnelle jusqu’au dernier instant…. Ma belle mère qui était une « housewife », s’est éteinte après ces mots : « j’ai toujours aimé le thé….. »
Maïa A.
Il est de ces êtres fulgurants qui nous laissent sans voix avec des étoiles dans la tête…