Kamel, submergé par l’eau du ciel
C’est un été des années 90. Dans ma vielle maison du Sud-Ouest de la France, nous recevons souvent des amis venant de partout dans le monde. Cette année, Kamel, le jeune fils de notre ami Idriss, est venu nous voir. Lui et son père habitent Timimoun, belle ville du Gourara, Sud Saharien, un des endroits les plus chauds et secs de l’Algérie. Et cette année, Kamel, envoyé par son père, a pu venir jusque chez nous !
Ce matin-là, j’entre dans une des chambres de la maison et je découvre Kamel, de dos, immobile, en train de regarder par une des grandes fenêtres du premier étage. Il ne m’a pas vu ni entendu. Je vois son corps secoué de lourds sanglots.
Aujourd’hui, c’est un jour d’été où il pleut. La chaleur étouffante d’hier a laissé la place à un épisode de pluie, comme ça arrive souvent fin août dans nos régions. Kamel regarde la pluie par la fenêtre et il pleure. La pluie d’été tombe par lourds paquets, frappe les vitres, dégouline sur la façade, trempe le jardin, gorge les arbres et les fleurs de sa profusion.
Kamel, immobile, contemple cette pluie et pleure. Quelle émotion pour lui, qui vient du désert. Tant de pluie, est-ce possible ? L’eau, ressource rare à Timimoun. L’eau, qu’il a fallu rechercher en creusant dangereusement de longues foggaras, tunnels pharaoniques de plusieurs kilomètres, à 30 mètres sous terre. L’eau, qui s’écoule dans les canaux d’irrigation. L’eau, partagée entre les palmeraies et jardins au moyens de « peignes », grandes pierres plates creusées de trous. L’eau, que le conseil des sages du village répartit « à chacun selon ses besoins ». L’eau, dont le détournement était jadis passible de mort ! L’eau, qui, en jaillissant transforme le désert en oasis !
Kamel contemple cette source de vie disponible chez nous en abondance. Cette vision est pour lui inconçevable, inouïe ! Le voilà submergé par une giboulée de sensations et d’émotions. Et il ne fait rien, ou plutôt, il s’émerveille. Il reçoit ce présent du ciel et il pleure.
Je m’approche et je reste debout à côté de lui. Je regarde, moi-aussi, par la fenêtre. Je suis donc dépositaire d’un trésor inestimable et je l’avais oublié.
Plusieurs années ont passé et il est aujourd’hui beaucoup question du changement climatique. Moi, je me souviens de ce matin d’été et je repense à la valeur inestimable de l’eau, dont sont privés tant d’humains sur notre bonne vieille terre. Tes simples larmes, Kamel, nous le rappellent, innocemment et sans reproches…
C’est un texte émouvant.
Je suis allé à Timimoun il y a 4 ou 5 ans avec Mohamed G. Il avait plu et le désert était en fleur.
Les dunes étaient vertes et les plateaux couverts de petites fleurs mauves, mystère de la survie des graines… Ce phénomène ne se produit que tous le 6 ou 7 ans. Les fogaras coulaient abondamment. Quelques années de fécondité pour les jardins de l’oasis et d’eau dans les puits.
Cette fugace profusion, je l’ai vue vers le Sud du Tademaït et sur les Hauts Plateaux, c’est l’Ahcheb…. et c’est superbe!
Merci Bertil pour cette belle histoire qui nous rappelle une fois de plus la terrible réalité autour de l’eau…
A très bientôt
Mina
Cher Bertil aujourd’hui il pleut, Noël est passé et je découvre ton message « pluvieux » « heureux » « magique ». merci. La danse de la pluie claquette sur les carreaux des fenêtres par intermittences et j’écoute son chant attentivement, c’est beau! Ce rythme renforce la sensation du bonheur d’être au coin du feu !. L’envers du décor du desert est ici :la chaleur torride est enfermée dans un beau foyer et la fraîcheur de la pluie rayonne dans la campagne « verdhiver » ! Toutefois il manque toujours quelque chose… où sont donc passées les giboulées de neige qui immaculent le paysage? Je regarde par la fenêtre et j’imagine le désert ….
Becs de Suisse
oui Bertil c’est un beau cadeau de Noel ; mes émotions se bousculent . peut-être parce que je suis une nantie et que la mondialisation devient de plus en plus dure , sans états d’âme , pour ceux qui ont déjà peu , un peu plus du peu mais jusqu’ou ? et puis j’ai un peu grandi en terre d’Algérie à Vitry sur seine jusqu’à mes trente ans , mes meilleurs amis étaient des algériens de la 2ème génération , des beurs . L’eau source de vie….le chant des possibles….
Zazou
Oui oui , comme cela a été souligné plusieurs fois :témoignages de ceux qui ont eu la chance de vivre le désert du Sud ouest Algérien et ses belles villes rouges, oasis et palmeraies ,proches des dunes qui les menacent : Taghit, Beni abbés, Adrar plus loin et Tindouf maintenant interdite …Des souvenirs émus de ces années 70 , de l’Algérie leader du Tiers Monde :Alger capitale des hommes libérés!!Je parcourais ces hamadas grandioses à la suite des nomades R’guibats pour m’occuper de leurs dromadaires et ces villes sublimes étaient des havres de fraicheur après l’aridité du désert! Et aujourd’hui ,comme Kamel , je sanglote appuyé à ma fenêtre devant ma garrigue sèche (elle aussi!) triste que ces espaces magiques investis par les trafiquants et tueurs de toutes origines , nous soient interdits pour longtemps sans doute !
Merci Bertil pour ce texte …
Jos
C’est magnifique Bertil!!! encore encore encore!!!!! bises
Merci Bertil pour ce beau texte, et surtout merci à Kamel !
MAGNIFIQUE…..
C.S.
très beau, excellent même. Je suis touché par ce récit Bertil… Merci !
Hello, hello Bertil, une bien belle histoire que voilà.. tendre comme les jeunes pousses de printemps ! Avec la compagnie nous travaillons justement sur les puits ! et j’avais envie de te répondre par une, des images . Comment est-ce prévu sur ce site. J’espère que tu vas bien et j’espère à bien vite, de près ou de loin…
Delphine
Très émouvant, en effet. Bravo.
God jul & gott nytt ar !
Philippe Bouquet
🙂 🙂 🙂 L’eau,
une partie de ma vie
de gouilles
de sources,
de mers
Le sahara un rêve pas encore réalisé
le désert,
portes du Gobi
chaleur et jerricannes
sueur
écrasement
Beauté de l’eau
messagère
émotions
eau
porteuse de renouveau
merci pour cette goutte
de vivant
:*
Merci Bertil pour ce souvenir qui pourrait être un conte. Car les contes nous parlent des émotions des hommes. Les larmes de Kamel nous font du bien pour nous rappeler l’importance de la pluie.
Merci de me faire retourner à Timimoun en images, région tellement belle et si attachante où j’ai engrangé beaucoup de souvenirs aussi, notamment un vent de sable mémorable et de belles heures dans une petite piscine privée avec Claire et Vivi …. où nous pouvions rire de bonheur dans l’eau, baignées par la lumière jaune alors de Timimoun. Vive l’eau !
Bertil,
Je viens de lire ton texte sur Kamel et celui au sujet des impros en lien avec la guerre d’Algérie.
J’ai été très ému. Je le suis encore en écrivant. Notamment sur les impros , la manière dont tu les présentes et la force des « saillies » de chacun d’entre eux et le bien de rire quand c’est plein dans le mille!
J’ai des souvenirs aussi très vivaces de Timmimoun. Des soirées passées avec des amis algériens, des ballades de nuit dans l’oasis ou le temps n’est plus, ou tout glisse mais avec densité, le réel n’est pas loin… aux aguets.
Je me souviens d’une des premières questions que me posèrent des jeunes étudiants de l’école d’agriculture ou j’enseignais prés d’Alger.
Monsieur, pourquoi le ciel est bleu et rouge quand le soleil se couche…je n’en savais pas grand chose à vrai dire…et dans leurs yeux se mêlèrent à la fois déception et malice de mettre en difficulté celui qui vient avec son savoir. Que sait il en vrai !!!